
Dans un premier temps, l’ombre se comprend à partir de son opposé. Dans ce jeu d’ombre et de lumière, nous pensons trop rapidement que la lumière est la première. Nous observons par exemple que le reflet d’un objet ou d’une personne sur le sol est généré par la lumière du soleil. Or, l’expérience nous montre parfois le contraire. Tout dépend de notre point de départ. Si l’origine de l’histoire se déroule dans une caverne, alors ce contenant obscur sera un parfait réceptacle pour accueillir la lumière. Par le feu, les ombres se mettront progressivement à parler et à s’animer. L’ombre dans cette image est une figure de la vacuité, de l’attente, du vide, du manque ou encore de l’absence de désir. C’est un creux à l’intérieur de nous-mêmes qui nous prépare à accueillir la vie.
Dans notre seconde perspective, l’ombre est, comme le dit Carl Gustav Jung, la métaphore par excellence de l’inconscient. C’est la part de notre être qui donne de la profondeur au contenu de notre conscience. Cet espace renferme des expériences qui nous ont déçus ou qui ont été injustement rejetées. En y descendant, nous nous connectons à certains contenus censurés et nous réveillons parfois certaines blessures. L’inconscient devient par conséquent la réserve de toute une série de traces qui ont été écartées de la réalité. Certains rejetons cherchent encore à se manifester en espérant cette fois-ci que le contexte a changé pour mieux les accueillir.
Avec l’aide de notre troisième point de vue, nous présentons l’ombre comme un voile. Ce dernier jette du brouillard sur la vision, il ne nous permet pas de voir la réalité telle qu’elle est. En effet, notre vie est une succession de projets, de désirs qui nous agitent et nous déforment. Certaines impulsions génèrent de l’enthousiasme et puis se fanent. D’autres durent parfois plus longtemps. Notre vie est par conséquent une succession d’illusions et de désillusions. Il est très difficile de sortir de ce mouvement de mort et de renaissance. Certaines traditions orientales pensent que pour se libérer d’un tel cycle, il faut tout simplement cesser de désirer. Par cette voie, nous pouvons quitter le monde de l’ombre pour revenir à notre nature originelle. Cette philosophie, un peu trop radicale à notre goût, a la vertu de nous faire comprendre que la vie sur terre est une réalité éphémère.
Ensuite, l’ombre se comprend dans notre quatrième perspective comme une représentation de l’au-delà. Certains pensent d’ailleurs que derrière notre civilisation se cachent des communautés d’extra-terrestres. D’autres croient en un monde invisible capable d’interférer avec le monde visible pour agir sur le cours de notre histoire. Ce Royaume caché aurait ses propres lois et sa propre organisation. Il serait possible d’y entrer dès ici bas en développant nos dons spirituels. Ce monde étrange est obscurci par notre trop grand attachement à la réalité. Pour le découvrir, nous devons donner de l’importance à l’intériorité.
Dans notre cinquième représentation, l’ombre se manifeste à partir de nos pires cauchemars. Derrière ces images d’horreur, se cache une bête ou un monstre. Ce dernier ne vit pas seulement dans les films d’horreur, mais aussi à l’intérieur de nous. Il n’est pas rare de voir la fiction rejoindre la réalité. Certaines prédictions d’avenir nous présentent d’ailleurs un futur catastrophique. Nous pouvons nous y préparer en réveillant nos fantômes intérieurs. Le contact étroit avec ces entités peut nous aider à supporter ce monde qui part.
Enfin, l’ombre est un moyen de tempérer nos sentiments d’échec et de fautes. Ces affects surgissent quand nous nous sommes écartés de nos idéaux et de nos beaux principes de vie. Nous avons par exemple échoué dans nos études ou vécu un échec sentimental. La perte d’un tel horizon génère un sentiment de douleur et de vide. Dans ce temps de rupture, la présence d’un être qui subit lui aussi l’exclusion peut venir nous rejoindre. Il peut apparaitre comme un monstre à la limite entre la fiction et la réalité. Cette créature hors norme semble dans un premier temps vouloir nous punir d’avoir échoué. Mais après un temps d’apprivoisement, il devient de plus en plus gentil. Il existe en effet comme Quasimodo, une série de « monstres gentils » dans notre culture. Ces archétypes sont souvent les plus à même de venir apaiser les plaies de toutes nos blessures.
Jean-Philippe de Limbourg – psychologue clinicien et praticien en hypnose à Liège